Réflexions sur la pédagogie

– Anne Le Batard

 

Le projet SHAPERS touche à sa fin, le moment sans doute pour revenir sur ses intentions et ambitions de départ.

SHAPERS est avant tout rassemblement d’un groupe de partenaires autour d’un projet commun. Des chorégraphes, des pédagogues, des administrateurs, des directeurs artistiques de festival, des danseurs-formateurs, Ce groupe a fait équipe pour écrire, mettre en œuvre et mener ce projet ambitieux. Les échanges informels ont été de mise. Une discussion permanente, constamment analytique, toujours enrichissante.

Shapers se définit comme un projet qui s’engage dans un processus de transmission de la danse dans l’espace public. Les partenaires sont tous issus du champ chorégraphique sauf Momkin – espaces des possibles avec Emilie Petit qui vient du champs des arts visuels. Tous convaincus qu’il y a un enjeu à investir l’espace public. Tous convaincus qu’un processus de transmission basé sur une expérience est le format adapté à chacun des contextes.

Pour Ex Nihilo, l’expérience in situ est fondamentale tout comme le choix et l’engagement dans ce type de travail.

Pourquoi une pièce de groupe ?

L’idée de créer une pièce de groupe plutôt que de travailler sur les matières individuelles des danseurs s’inscrit dans un autre fondamental de la compagnie à savoir le travail en groupe, d’équipe qui met en jeu des valeurs de respect, regard sur son partenaire, tension et remise en question permanente de son ego, décentrage vers le collectif ou le projet artistique, solidarité, empathie, émulation, stimulation. Valeurs humaines qui se retrouvent ensuite sur le « plateau » en donnant à voir un collectif fort d’une équipe de danseurs assumant pleinement sa place individuelle dans le groupe, dans l’espace public, en dialogue avec le contexte et le public.

Des valeurs que nous partageons depuis longtemps dans Ex Nihilo, que nous tentons de transmettre dans nos trainings, workshops, stages, et projets de création. Est-ce que ces valeurs qui nous animent sont venues du changement d’espace de travail, je ne peux pas le dire. Mais la confrontation avec des espaces non dédiés à la pratique artistique, à la pratique chorégraphique, a profondément changé, influencé les modalités de travail de la compagnie.

Prendre soin de l’outil des danseurs

Prendre soin du corps des danseurs pour assumer un quotidien (d’une certaine manière) hostile à la pratique physique.  Un espace très ouvert, sans limite, un sol dur, rugueux, un climat changeant. Pour cela, nous avons mis en place un training, une pratique physique, un échauffement qui travaille le corps pour lui permettre d’être prêt à affronter, de s’adapter. Il s’agit évidemment de renforts musculaires et d’étirements.  Mais tout aussi important il s’agit de mettre en jeu dès le début de la journée la notion de groupe, l’ouverture à l’espace, aux autres. Travailler son outil de manière technique tout à la fois dans son rapport à soi et son rapport aux autres. Non pas l’un après l’autre, mais l’un avec l’autre, pas de hiérarchie. Une tension permanente, une mise ne tension permanente. S’exercer à cet aller/retour chaque jour, comme une routine qui peu à peu renforcera le corps du danseur et son attention et sa concentration. Trouver ainsi une liberté, une ouverture à être à soi et au monde.

Se mettre en jeu dans un espace concret. Sortir du studio de répétition c’est avant tout la rencontre avec l’Autre. Une nécessité, un désir à se dire à l’extérieur. Un désir de regard sur son environnement ou sur les environnements.

La variété des espaces traversés amène travailler sur sa propre mobilité. Mobilité dans l’espace mais aussi mobilité de sa pratique, sa compréhension, sa vision du monde. Cela engage aussi la question de sa place, sa légitimité à être là, ici et maintenant, au milieu des autres.

Se déplacement s’est opéré tout d’abord par un choix, un engagement. Puis s’est modelé, affirmé construit par une expérience, un épuisement des corps au quotidien. Une construction de ce regard dedans/dehors. Une capacité à travailler dans le flux de la ville ou/et avec l’esprit d’un lieu dans la pleine conscience de son/ses partenaire(s).

C’est cette expérience des lieux et des autres que nous avons voulu transmettre à un groupe de jeunes danseurs de 4 nationalités différentes en construisant le projet SHAPERS.

…la suite


Text : Anne Le Batard

Co-directrice et chorégraphe de la company Ex Nihilo

Ex Nihilo [Marseille-France] est une compagnie de danse contemporaine dirigée par Anne Le Batard et Jean-Antoine Bigot autour d’un désir commun : faire de l’espace public un lieu privilégié de création et de diffusion en plaçant au centre de leurs préoccupations artistiques la rencontre avec un contexte singulier et ses usagers, habitants, public, ou passants. www.exnihilodanse.fr