“Etat des lieux de la danse en Egypte”

-par Lucien Ammar-Arino, du Centre Rézodanse-Egypte

La danse en Egypte dispose d’une situation à la fois privilégiée et compliquée. La société égyptienne a un rapport ambivalent vis-à-vis de la danse, selon qu’il s’agisse de danse folklorique, ‘orientale’ ou ‘balady’, de ballet classique ou de danse contemporaine. La société dans son ensemble est familière de la danse folklorique, et généralement fière de cet héritage, alors que la danse ‘balady’ souffre d’une image plutôt négative, en raison de son lien avec des pratiques de la nuit, du cabaret, qui mettent en doute, pour une partie de la population, sa respectabilité. Il n’en demeure que cet héritage, même s’il est aujourd’hui controversé, reste très présent dans l’imaginaire collectif.

La danse occidentale, ou ballet classique, dispose quant à elle d’une place particulière. Introduite dans les années 1960 par le pouvoir politique, elle a un temps représenté l’art officiel, au même titre que la danse folklorique. L’Opéra du Caire dispose
jusqu’à aujourd’hui d’une compagnie permanente de ballet, à laquelle une école est rattachée. La présence de la danse contemporaine est beaucoup plus récente, et remonte au milieu des années 1990. Elle a été introduite au travers d’événements organisés par les centres culturels étrangers présents au Caire et à Alexandrie, parmi lesquels l’Institut Français, l’Institut Goethe, le British Council, et aussi au travers de l’Université Américaine du Caire. L’Opéra du Caire dispose également d’une compagnie permanente de danse ‘moderne’, qui propose des pièces à l’esthétique à cheval entre la modern dance américaine et le jazz.

Depuis la fin des années 1990, une nouvelle scène indépendante d’artistes chorégraphiques a commencé à émerger, à la suite d’ateliers proposés par les centres culturels, qui ont confronté des artistes égyptiens, notamment issus du théâtre, à des esthétiques encore méconnues localement. Aujourd’hui, la scène de danse contemporaine est principalement issue de la formation proposée par le Cairo Contemporary Dance Center, dirigé par Karima Mansour depuis 2012.

Deux événements artistiques annuels, le festival D-CAF au Caire depuis 2012 et le Festival Nassim el Raqs à Alexandrie depuis 2011, offrent également à cette nouvelle scène émergente des espaces de diffusion de leurs créations.

Créer dans l’espace public en Egypte

Il serait difficile de donner une définition générale de la situation de l’espace public en Egypte. Je ne peux faire référence qu’à mon expérience en tant que co-directeur du festival Nassim el Raqs entre 2011 et 2015, et m’appuyer sur des observations personnelles que j’ai pu faire au cours des onze années que j’ai passées dans ce pays, de 2005 à 2016.

J’ai pu constater, au moins dans la ville d’Alexandrie, que l’espace public est saturé, et demande une négociation permanente de la part des artistes et opérateurs culturels accompagnant les projets.

Régulièrement utilisé pour des événements familiaux, mariages, funérailles, ainsi que pour des occasions telles que des ouvertures de magasins, ou de manière spontanée par des commerçants, cafetiers, l’espace public devient une extension d’un espace privé dont la délimitation est parfois ténue.

En revanche, l’utilisation de l’espace public pour des créations artistiques revêt une dimension jugée plus politique, ce qui peut facilement crisper les services en charge du domaine public. La question souvent posée est ‘pourquoi ?’, et il a pu être difficile, par moments, de justifier le caractère artistique des oeuvres présentées face à des autorités préoccupées par la nature politique d’un acte artistique sur le domaine public.

L’accès à l’espace public est compliqué par des procédures de demandes d’autorisation longues et incertaines, impliquant différents niveaux des pouvoirs publics et des services de sécurité. Un long travail de médiation et de pédagogie est nécessaire vis-à-vis des autorités. Ce travail de longue haleine a toutefois porté ses fruits dans le cas de Nassim el Raqs, parvenu en quelques années à installer une relation de confiance avec les autorités, basée sur la qualité des propositions artistiques, la cohérence et la longévité du projet. Les motivations de l’artiste égyptien qui crée dans l’espace public en Egypte, du moins au vu des artistes que nous avons pu accompagner, sont multiples :

l’espace public est considéré à la fois comme une alternative au manque de lieux de diffusion (de tels lieux manquent en effet en Egypte), comme un espace de rencontre entre des publics éloignés de l’offre culturelle et des oeuvres chorégraphiques qui sont encore peu diffusées, mais aussi comme un lieu de revendication, notamment dans le climat actuel de défiance vis-à-vis des autorités, qui restreignent de plus en plus les moyens et les espaces d’expression.

Les incursions artistiques dans l’espace public ne datent pas de la révolution, le processus était déjà entamé avant 2011, mais cette dernière a amplifié ce besoin, cette nécessité de se réapproprier l’espace public, même si tout récemment nous assistons à un phénomène inverse de repli, pour des raisons liées aux contraintes sécuritaires grandissantes.

-Lucien Ammar-Arino


Le Centre Rézodanse [Alexandrie-Egypte] est à la fois un espace de travail et un lieu où de nombreux projets culturels sont mis en œuvre et organisés. Fondé en 2008, sa démarche mêle des actions de formation, de sensibilisation des publics, et de diffusion. Convaincu du rôle de la danse dans l’éducation, il œuvre pour son développement et sa mise en valeur en Egypte, pour l’affirmation de la diversité culturelle de la société égyptienne, et le renforcement du lien social. www.rezodanseegypte.com

Journal 7 Lucía Bocanegra

CAIRO, Marzo-abril 2018

25-03-2018

“Segunda vez en Egipto. En una ciudad más caótica, más grande, más libre,,,aparentemente, más más…

Se respira polvo y humo de coches, de vez en cuando alguna muestra de perfume de un Egipcio a la entrada de una tienda gritando WELCOME TO EGYPT; algún exótico olor también, de algún puesto ambulante; a Shawarma; a comida pasada de fecha.”

INSTITUTE GOETHE, Cairo Downtown

-SPACE +INTIMITY Ahora el espacio es más reducido, íntimo y desigual, a diferencia de todos los demás.

Abril-2018

“Se escuchan continuos clacsons, algunos personalizados, rezos a las horas punta, gritos varios, ofertas para egyptians, ofertas para guiris, maullidos de gatos, demandas de café y té desde lo alto de una red de obreros construyendo como los antiguos pieza a pieza.

Distracciones por cada palmo de visión. Fotografías continuas, escenarios y escenas impresionantes, e impresiones primeras o más pacientes… me hacen estar pendiente a la siguiente.

Querría descubrirlo todo solo con observar, y muchas de las cosas se me quedan a medias.”

Texte et images : Lucía Bocanegra

Danseuse participant au projet SHAPERS

Performance au Caire

SHAPERS à été présenté pendant la septième édition du festival D-CAF (Downtown Contemporary Arts Festival) au Caire, Egypte à l’Institut Goethe.

Cette performance a été organisé par le partenaire Momkin-espaces de possibles.

 


Momkin – espaces de possibles [Marseille-France] a pour but d’initier et d’accompagner des projets artistiques et culturels dans les villes et territoires du pourtour méditerranéen, à travers la mise en place d’activité de création, production et de diffusion d’œuvres artistique, la conception de projets de coopération culturelle et interculturelle, ainsi que le développement d’activités de transmission et de sensibilisation. Le festival Nassim el Raqs porté par Momkin, propose tous les ans depuis 2011 des initiatives artistiques en interaction avec la ville d’Alexandrie. www.momkin.co

Articles par Alix de Morant


Alix de Morant est maître de conférences en études théâtrales et chorégraphiques à l’université Montpellier III. Elle est membre du laboratoire RIRRA21 (EA 4209) et de l’Association des chercheurs en danse. Enseignante associée au Master EXERCE adossé à l’université Paul Valéry et à ICI-CCN Centre Chorégraphique National de Languedoc Roussillon dirigé par Christian Rizzo, elle dirige également le Master DAPCE de direction artistique de projets culturels. Elle est l’auteure avec Sylvie Clidière d’Extérieur danse. Essai sur la danse dans l’espace public (Montpellier, L’Entretemps, 2009), et la principale éditrice d’In Situ In Cité (HorsLesMurs, 2013). Elle a également participé aux ouvrages collectifs La scène & les images (CNRS éditions 2001), Butô(s) (CNRS éditions 2002), Art et ville contemporaine. Rythmes et flux (Publications de l’université de Saint-Étienne, 2012) et La Rue comme espace chorégraphique (Presses universitaires de Rouen et du Havre, à paraître). Ses recherches portent sur  les esthétiques théâtrales et chorégraphiques contemporaines, la performance, sur l’histoire de la danse au 20e et 21e siècles, dans sa relation aux autres arts.

FAIRE-LIEU

animation vidéo réalisé par Elsa Menad pour le festival Nassim El Raqs, Juin 2017

Se rendre compte de l’espace dans lequel on est, on acte.

Créer un mouvement selon l’espace qui nous entoure.

Prendre ces appuis sur ce qui existe déjà, proposer de nouvelles réalités.

Affirmer d’un point de vue, un nouveau regard.

Proposer une expérience du regard.

Observer nos alentours avant, pendant, et après.

Penser le mouvement dansé présent et en devenir.

 

 

De nouvelle manière de faire-poésie, de faire-ensemble, de faire-lieu.

Considérer la notion de faire-lieu comme un concept, sur lequel se baser pour aller à la rencontre de différentes manières de faire. Qu’existe t-il comme manière de faire-lieu? Manière de s’inscrire quelque part, d’habiter ici, ou la bas. D’habiter à plusieurs endroits, d’habiter ensemble ou tout seul?

Une fois qu’on habite un endroit, peut on l’habiter autrement, peut-on déplacer son chez-soi : ” Explorer le monde, que nous installons, que nous habitons autant qu’il nous habite, et dont nous sommes toujours parties prenantes, malgré la volonté fréquente de nous en détacher, voire de la dominer. ” Tim Ingold à travers ses recherches à comment appréhender les manières dont nous constituons ce monde.

LES MAINS TENANT

Pastel de Benjamin Bloch, Retour d’Alexandrie, Juin 2017

Comment les corps dansent-ils ensemble dans un même lieu? Après s’inspirer de leur alentour, quels appuis s’échangent-ils? Comment s’entraident-ils par les gestes, les mouvements, les trajectoires, les regards, à quel moment leurs intentions se croisent, et construisent ensemble un nouveau mouvement?

 

Quelques recherches graphiques se sont basées sur ces points d’appuis, ces points d’attache. Ce point qui construit l’interaction entre deux corps, ces mains déposées sur l’autre, qui le tiennent, le soutiennent. Ces mains qui aident à diriger, ou seulement à basculer. Ces points d’accrochages entre deux corps, entre deux formes en mouvement.

Croquis de Benjamin Bloch, Marseille janvier 2017

Corps-Objet se rencontrent

“Comme la structure Architecturale, l’écriture chorégraphique peut être considérée comme une organisation de contraintes, mais de même que chaque locataire s’approprie l’espace pour en faire son lieu propre, chaque interprète peut faire vivre différemment l’écriture chorégraphique.” Trisha Brown lors des ses Accumaltions Urbaines.

C’est en partageant objet et mouvement que les danseurs tentent de s’inscrire dans l’espace, et de faire résonner les lieux. L’objet n’est alors plus un moment mais rassemble toutes sortes d’éléments déplaçable et utilisable, telle qu’une chaise, une table, ou un pavé. Ces éléments ont une place primordiale dans les “scénographies urbaines”, ce sont des objets qui vivent la rue autant que les corps. Des objets à fin utilitaire, voire nécessaire, mais leur nécessité et leurs valeurs peuvent être transformé à tout moment.