Journal 2 Natacha Kierbel

alexandrie

Segad Damanhour et l’esplanade de la Grande Mosquée soufi, deux lieux aux atmosphères très différentes.
Segad Damanhour est un lieu plutôt calme, presque familial, avec la partie couverte, la cour entre les immeubles et les gens qui y travaillent. Malgré les tensions dans le travail, j’ai de très bons souvenirs d’improvisations dans ce lieu, notamment du duo avec Ayoub.
La danse ; sans trop m’en rendre compte, je me suis réconciliée avec le sol, je ne prête plus attention au fait d’être couverte de poussière, ou plutôt si mais c’est presque plaisant, c’est le lâcher prise.
Nassim El Raqs, une bulle perméable dans la ville. Partout où on allait, on retrouvait les gens du festival. On y a fait tellement de belles rencontres, les partenaires égyptiens, les jeunes danseurs au parcours totalement différent du mien, les volontaires, et partout une générosité, une joie de vivre et une envie de faire la fête dont je garde un souvenir très vif.

La question de la femme dans l’espace public se pose bien sûr. En tant que femmes européennes dans les rues d’Alexandrie, on nous regarde, parfois il y a des reflexions qu’on ne comprend pas; mais la seule chose qui m’a vraiment faite réagir c’est le regard de jugement que certaines femmes ont posé sur nous. Recevoir ce regard de la part d’autres femmes, m’a vraiment déstabilisé.

A partir de ce moment j’ai vraiment pris conscience de l’impact qu’une femme qui danse dans la rue pouvait avoir, de la facilité insolente que j’avais à exercer le métier que je voulais tandis que pour la plupart ici, danser est un combat. Et d’un autre côté, quelle légitimité je pouvais avoir à défendre mes valeurs dans un pays qui n’est même pas le mien et où la culture n’est pas la mienne. En voulant être « engagée », je ne vais ni sauver des gens, ni changer des vies et en aucun cas arriver et imposer ma vision de jeune européenne. En même temps les gens te racontent des histoires qu’ils ont vécues et tu te dis que tu ne peux pas rester assis à rien faire.

Mais alors au nom de quoi je viens danser ici?
Je pense que l’attitude à avoir est de rester humble, d’accepter qu’on ne connait rien, excepté ce qu’on nous a raconté et ce qu’on a expérimenté dans nos rencontres. De venir jouer sans se cacher derrière des prétentions de danseurs mal placées. De prendre conscience de l’énormité que c’est que de danser sur l’esplanade de la Grande Mosquée soufi. De se présenter à la performance transparent, chargé de ce que le pays t’as apporté et plein de gratitude envers les gens rencontrés.

Je pense pouvoir dire que ces deux semaines en Egypte m’ont faites grandir. Je pense également que le contraste entre la puissance de l’expérience humaine et les tensions dans le travail, nous a soudé en tant que groupe de shapers.


…la suite

Texte et image : Natacha Kierbel

Danseuse participant au projet SHAPERS