Journal 4 Natacha Kierbel

Marseille

Lorsque j’ai appris que je ne venais pas au Caire (puisque je ne pouvais pas faire la date bien que je pouvais venir ensuite faire le workshop) j’étais triste et en colère, je n’ai pas compris pourquoi certains partenaires sont venus de l’étranger mais que ce n’était pas possible de faire venir une des danseuse du projet. A ce moment là, on ne savait pas s’il y aurait d’autres dates après Le Caire.

Quand j’ai retrouvé toute l’équipe à Marseille après avoir passé six mois sans les voir, j’étais tellement contente de les revoir et de pouvoir redanser avec eux, dans mon pays qui plus est, que j’avais une énergie dingue. Pour moi la représentation cour Belsunce était la meilleure et celle où j’ai pris le plus de plaisir. De la première répétition pour la reprise jusqu’à la représentation, j’ai senti l’énergie monter en crescendo pour tout le monde, nourri par la mixité des gens qui passaient sur ce lieu, par le fait de tous se retrouver, d’avoir vu Corinne, Jean Antoine, Anne et Rolando danser au port de Saumaty et d’avoir le plaisir de retravailler avec chacun d’eux.

Je pense avoir eu une sorte de déclic après la performance d’Ex Nihilo à Saumaty, particulièrement dû au fait d’avoir vu Anne et Corinne danser, j’ai compris qu’on pouvait en tant que femmes, assumer et poser notre féminité en dansant en espace public, en dansant avec Shapers. Ce qui parait à priori logique, mais qui, je trouve, n’a pas été du tout évident à trouver, car dans le travail, je sentais une attention très portée sur une « énergie » et une « esthétique » masculine et dans la structure même de la pièce, on retrouvait très souvent une confrontation homme femme, un rapport de force. Le fait d’avoir conscientisé ça, m’a permis de revendiquer ma féminité dans ma danse et de donner beaucoup plus de sens à la pièce. Et très clairement, c’est une force bien plus intense, plus intéressante qui s’est dégagée à ce moment là.

Ce qui était très fort pendant cette période, c’était le groupe, et de voir que chacun avait énormément évolué et de me rendre compte que moi même j’avais beaucoup évolué. On a mis du temps à y accéder mais on est parvenu à un point où chacun avait beaucoup d’admiration pour l’autre et surtout de la fierté à faire partie de ce groupe. J’ai eu la sensation que c’était le début de quelque chose d’abouti.

Le projet s’est clos après la date à Budapest, belle performance avec un public étonnamment jeune et dynamique. Tout le travail effectué dans les différents lieux, les multiples rencontres avec les artistes, les partenaires et toutes les autres personnes qui gravitaient autour, m’ont faits beaucoup progresser dans mon développement personnel et mon ouverture d’esprit. Je pense pouvoir en dire de même pour presque tous mes collègues.

La relation qu’on a construite entre les shapers est une des choses les plus fortes que je garde de ce projet. Je me souviens du tout premier soir où j’ai débarqué avec Aurore à l’appartement à Marseille au milieu des quatre garçons, de rire et de me dire « mais qu’est-ce que c’est que ça! ». Constater qu’on avait des habitudes, des façons de communiquer, des manières de réfléchir, des danses complètements différentes et ce n’était vraiment pas évident de se comprendre pendant un moment. On avait un binôme très fort pour chaque pays.

J’avais vraiment l’envie et la curiosité d’apprendre et de comprendre mieux la culture de chacun. Et petit à petit on a appris à se connaitre, à s’entendre, on a vécu des tas d’aventures tous ensembles, on a chacun fait découvrir aux autre notre pays, notre culture. On a en quelque sorte développé notre langage: un mélange d’anglais, français, espagnol et arabe…! Finalement on est tous devenu très proche, on a créé notre petite famille et je pense qu’on est tous reconnaissant envers chacun et content du chemin qu’on a tracé ensemble.
Anne, Jean Antoine, Corinne et Rolando, vous aussi vous êtes comme une petite famille et vous dansez avec la même passion à travers tout ces lieux improbables et magnifiques. Quand j’ai vu des vidéos de vous au tout début du projet j’ai pensé: « ça doit être incroyable de connaitre cette complicité, cette force ensemble et la beauté brut de ce qu’ils construisent par leur danse » et j’ai pu toucher à ça grâce à ce projet, grâce à ce que j’ai appris de votre façon de travailler et surtout grâce au groupe de Shapers.

Je me souviens de la montée d’adrenaline et l’excitation que j’ai eu en lisant l’avis d’audition de Shapers rien qu’à l’idée de faire ce projet, et je dois dire que je n’ai pas été déçue au niveau des sensations fortes!
Pour finir, je voudrais juste dire que de s’investir en tant que français dans la vie culturelle dans d’autres pays non européens pourrait être très délicat et parfois mal interprété et je suis extrêmement admirative de la façon dont Ex Nihilo réussi ce challenge, de voir la force des amitiés et des échanges qu’ils ont construits notamment en Egypte mais dans pleins d’autres pays. Voir avec quel appétit ils se lancent dans leurs projets à travers le monde et toujours nourrir le désir de découvrir plus de lieux, rencontrer de nouveaux danseurs. Je suis contente d’avoir été permis ces nouveaux danseurs rencontrés, d’avoir fait partie de ce projet qui n’a pas été facile tout du long mais qui a été une expérience artistique et humaine incroyable.


Texte : Natacha Kierbel

Danseuse participant au projet SHAPERS