L’épreuve de l’espace

“L’être humain a toujours à faire avec l’espace. Au sens ou il doit en permanence accepter l’épreuve spatiale qui trouve sa place dans l’existence de la séparation, c’est à dire de l’impossible confusion des réalités sociales en un même point.

Etre à l’épreuve de l’espace consiste ainsi, pour les individus comme pour les groupes, à trouver les moyens pour configurer la distance, qui disjoint les choses, les êtres, afin de rassembler celles-là, ceux-ci dans un agencement pertinent, un ordre de réalités coexistantes qui permet et autorise l’action, en même temps qu’il en procède.” Michel Lussault, Habiter, du lieu au monde, la poétique de l’habiter, issue d’un colloque en 2009 à Cerisy-la-salle.

Photographie par Elsa Menad, répétitions des Shapers à Segad Damenhour à Alexandrie.

“Agir sur les désordre du monde pour déceler d’autres agencements et créer un nouvel ordre poétique.” Johann Le Guillem

dessin de Benjamin Bloch, lors des répétitions Shapers sur l’esplanade de la mosquée Abbou El Abbes, en Avril 2017.

“Tant l’espace-ville que la danse sont variable et instables. Le dessin devient de l’écriture, qui devient de l’architecture qui devient de la danse.” Trisha Brown en 1973. Et si les lignes de mouvements dansés s’échangeaient avec les lignes de l’architecture, là ou l’habitable deviendrait aussi éphémère et temporaire que le geste d’un danseur.

 

Edito – Nassim el-Raqs #7

“Depuis 7 ans, Nassim el-raqs cherche les mots pour se décrire, au fur et à mesure qu’il s’invente. Chaque année, de longues heures durant, des discussions sans fin s’aventurent à concevoir le sous-titre le plus approprié, celui qui saura dire nos pratiques et nos ambitions du moment.

Défiant les contraintes, refusant les cases toutes faites, essayant de définir au plus juste toute l’indétermination, l’improvisation, l’invention quotidienne sur laquelle nous nous appuyions pour donner impulsion à cet « évènement » ? « oeuvre » ? « chose artistique » ? « objet social » ? qu’est Nassim, nous écrivons.

Or, il apparaît aujourd’hui que nous n’avons plus besoin de sous-titre : Nassim el-raqs est devenu. Festival, laboratoire en écriture, nouvel espace de possible pour les artistes et les publics, Nassim est avant-tout devenu une communauté.

Communauté de sens, communauté de partage, grande famille, rassemblement, Nassim se réactive chaque année, au printemps, pour tenter d’échanger des idées innovantes, de produire des gestes forts, de contribuer à l’avancement de cette grande société méditerranéenne en devenir que nous sommes. Une société pensée et prônée (aussi) à partir du Sud.

Si Alexandrie a su inventer un modèle de cosmopolitisme il y a quelques décennies, notre modeste projet pour la ville, cherche aujourd’hui à proposer de nouvelles formes de vivre ensemble, posant l’art, la culture, la création et l’échange comme voie (peut-être l’unique), de rapprochement humain, d’émancipation individuelle et collective.

Alors peu-importe les définitions. Spécifier l’art et son lexique n’est plus notre priorité première. Car il y a urgence. Il y a urgence à s’aimer, à se rapprocher, à créer ensemble une société plus heureuse pour demain.

De grands chorégraphes que nous aimons fortement, et complices du festival de près ou d’un peu plus loin depuis plusieurs années, ont décidé de s’inscrire dans des démarches de transmission fortes :

Olivier Dubois, pour l’ouverture, créera de la mémoire vivante dans l’adaptation de Après midi d’un Faune de Nijinsky; Mohamed Fouad, ensuite, présentera un travail émergent et précieux, résultat de la première année de formation de danse contemporaine à Alexandrie, incarnée dans le groupe Silsilah; la Compagnie Ex-Nihilo produira, pour le final, le fruit de longs mois de travail, dans le cadre de la formation longue à la danse en espaces publics méditerranéen SHAPERS.

D’autres artistes nous emmèneront vers des territoires d’expérience et de recherche nouveaux : des marches, des protocoles exploratoires, des campements, avec la compagnie Ici-Même, ou encore avec Ali el-Adawi, son tandem Pau Cata et leurs deux complices espagnoles de l’équipe Cercca.

Nous vous attendons pour cette 7ème édition où nous mettrons le partage, l’art, la manière, la création, le savoir-être, les savoir-faire au coeur de nos échanges et de nos manières d’habiter le monde.

Et tout cela, sans oublier. Pour continuer, pour honorer, encore et toujours, ceux et celles qui sont parti-e-s, ceux et celles que l’on a perdu-e-s.”

Emilie Petit, fondatrice de Nassim el-raqs


Momkin – espaces de possibles [Marseille-France] a pour but d’initier et d’accompagner des projets artistiques et culturels dans les villes et territoires du pourtour méditerranéen, à travers la mise en place d’activité de création, production et de diffusion d’œuvres artistique, la conception de projets de coopération culturelle et interculturelle, ainsi que le développement d’activités de transmission et de sensibilisation. Le festival Nassim el Raqs porté par Momkin, propose tous les ans depuis 2011 des initiatives artistiques en interaction avec la ville d’Alexandrie. www.momkin.co

Choix du lieu, Alexandrie

Mars 2017

Nous rencontrons le Sheikh Gaber, avec Ahmed Helmy et Yasmine, grâce à une mise en lien effectuée par Yasmine. Il nous reçoit avec beaucoup d’attention et nous écoute avec intérêt. Nous lui parlons de Nassim, de nos tentatives de faire exister l’art, la création et la danse dans des lieux et espaces atypiques d’Alexandrie, de notre ambition d’entrer en contact avec une ville dans son ensemble, son contexte, ses habitants, ses énergies.

Puis nous lui parlons de Shapers, et de cette idée de réunir des jeunes d’Egypte, du Maroc, d’Espagne et de France, pour les faire traverser ensemble une aventure de création et de transmission à la danse en espaces publics, dans chacune des villes dont ils sont issu-e-s.

Nous lui montrons la vidéo réalisée à Séville, à la fondation des 3 cultures. Il apprécie. Il nous dit qu’il sent que nous recherchons, lui et nous, les mêmes choses à l’endroit du partage humain et du dialogue entre les cultures. Que le chemin de Abbu el Abbes el Morsi est passé par les mêmes trajectoires que nos jeunes. L’Espagne, le Maroc, avant de n’arriver en Egypte. Je suis émue par cette ouverture et cette volonté de fabriquer du sens commun entre nous.

Il me demande de lui envoyer la vidéo sur WhatsApp. Avant de le faire, je la regarde à nouveau. Sous la canicule du sud de l’Espagne, l’une des filles s’est dévêtue de son tee-shirt, et danse avec un simple soutien-gorge pour la répétition. J’ai suis gênée d’envoyer cette vidéo. Yasmine semble trouver cela normal.

Nous nous sommes accordés sur le fait que le Cheikh nous donnerait une réponse une semaine plus tard, après avoir consulté les membres de sa communauté. Sans l’avoir vraiment voulu, sur le chemin du hasard, nous avons entamé un processus de demande pour faire une création sur l’esplanade de la mosquée Abu el-Abbès el Morsi d’Alexandrie.